« Chacun se souviendra où et avec qui il était quand brûlait Notre-Dame »

Chronique de Geneviève Jurgensen parue dans La Croix. Et vous, où étiez-vous quand Notre-Dame brûlait ? Postez votre réponse en commentaire.

Qu’y a-t-il de l’autre côté du chagrin, qu’est-ce qui nous attend, qui serons-nous, après ? Plus ou moins clairement formulée, la question s’impose vite après le choc. Quand nous perdons quelqu’un que nous aimions depuis toujours, quand l’homme dont nous sommes amoureuse nous tourne le dos, quand la plus belle église du monde brûle… Le chagrin, c’est autre chose que le malheur. Celui qui perd son travail, celui qui perd son logement, celui qui perd son pays, celui dont l’enfant se révèle gravement malade, celui-là ne se demande pas ce qu’il y a de l’autre côté, il sait que tout va être dur et que le chômage, la rue, l’exil, le tourment vont durablement absorber toutes les forces dont il dispose, à chaque instant de chaque jour de sa vie, dans un sombre et long maintenant. L’avenir, dans le malheur, semble un autre monde, il faut d’abord survivre à l’interminable et périlleuse traversée qui s’impose à nous. Mais le chagrin…

Comme pour l’assassinat du président Kennedy, la chute du mur de Berlin, celle des tours de Manhattan, chacun se souviendra d’où et avec qui il était quand il a appris que brûlait Notre-Dame de Paris. On voudrait le raconter, on se retient parce qu’on sait que ça n’intéresse personne. Tout le monde était quelque part, tout le monde a eu peine à y croire. C’était il y a moins d’une semaine et ça paraît pourtant si loin. Serions-nous déjà de l’autre côté du chagrin ?

Cette idée que très vite, dans quelques heures tout au plus, nous serions en quelque sorte habitués à ce qui nous coupait le souffle l’instant précédent, nous a traversés et révoltés. Pourtant la transformation s’est faite. Quand nous parlons de Notre-Dame aujourd’hui, nous parlons de la grande brûlée, pas de celle d’avant, celle dont un jeune candidat à la présidence des États-Unis, Pete Buttegieg, a dit le soir même qu’elle était « comme un cadeau à l’espèce humaine », pour lequel il voulait remercier notre peuple. Avec l’archevêque de Reims, Mgr de Moulins-Beaufort, qui rappela avant même que le feu soit maîtrisé que « rien sur cette terre n’est fait pour durer éternellement », Buttegieg fut mon premier consolateur.

Celui qui console n’est pas forcément celui qui soulage la douleur en la partageant. Il peut aussi être un inconnu de passage, qui vous libère sans le savoir, vous ouvre des portes, vous remet en mouvement. Voulons-nous, d’ailleurs, abandonner ce chagrin qui nous relie à notre perte, à notre deuil ? Ce chagrin qui est notre façon d’aimer encore, qui est l’amour mis à l’épreuve du renoncement, voulons-nous en guérir ? Il est la mémoire de ce qui fut, la trace d’une plénitude enfuie, il nous est précieux et mérite d’être cultivé. Comme tout ce qui vit, il connaîtra des saisons, des sommeils et des réveils, il nous accompagnera partout où nous irons. Les consolateurs sont ceux qui nous permettent d’emmener ce chagrin avec nous au lieu d’en subir le poids. Ils ont, dès lundi soir, trouvé l’inspiration qui leur a fait, innocemment, magnifier l’image des silhouettes minuscules de pompiers de Paris en haut des beffrois, si proches des statues des saints veillant depuis des siècles sur Notre-Dame.

Cet incendie, survenu au premier jour de la Semaine sainte, nous aura menés à Pâques sans nous laisser le choix. Ce n’est pas si facile d’admettre qu’il y a une vie de l’autre côté du chagrin, de l’autre côté de l’arrachement, du silence, de la mort. Ce n’est pas si facile d’accepter de changer, pour vivre pleinement au-delà des larmes. Acceptons-nous de les sécher un jour et de nous épanouir dans le compagnonnage de l’absence ? Ne sommes-nous tentés de ressasser ? Rien ne presse. Le temps est notre allié. Ce n’est pas dès le lendemain de sa mort que le Christ revient, c’est le troisième jour ! Le président de la République, en promettant de revoir la cathédrale plus belle encore dans cinq ans seulement, a fait preuve d’un enthousiasme et d’une vitalité bienvenus, mais le temps imposera sa logique. Cinq ans, ou dix, ou quinze, ne sont de toute façon pas grand-chose pour renouer avec les siècles, et trois jours sont bien le moins pour admettre que la vie nous attend, de l’autre côté du chagrin.

Et vous, où étiez-vous quand Notre-Dame brûlait ? Postez votre réponse en commentaire.

  1. 22 avril 2019

    A l’hôpital à Vienne en Autriche, suite à un AIT, je n’avais qu’une très mauvaise connexion internet pour suivre ce qu’il se passait… Tout cela me paraissait simplement incroyable… 🙁

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